En vertu de la Loi sur la taxe d’accise (« L.T.A. ») et de la Loi sur la taxe de vente du Québec (« L.T.V.Q. »), la fourniture de l’immeuble visé par les règles de fourniture à soi-même (art. 191 L.T.A.; art. 223 et suiv. L.T.V.Q.) est réputée être à la plus tardive de deux dates :
À ce moment bien précis, le « constructeur » est réputé effectuer par vente une fourniture taxable de l’immeuble en question et l’acquéreur est réputé avoir payé la fourniture taxable dudit immeuble, le tout calculé sur la juste valeur marchande (« JVM ») de l’immeuble.
La Loi sur la taxe d’accise et la Loi sur la taxe de vente du Québec ne définissent pas la JVM d’un immeuble, de même qu’elles ne prévoient pas comment la déterminer. Par conséquent, le contribuable doit se tourner vers les enseignements des tribunaux pour bien comprendre ce concept. Essentiellement, le concept de JVM est défini comme étant le prix le plus élevé qui peut être obtenu sur un marché libre et sans restriction entre des parties bien renseignées, informées et prudentes, agissant sans lien de dépendance, aucune des parties n’étant contrainte de conclure la transaction (MRN c. Re Mann Estate, [1972] 5 WWR 23 (C.-B. C.S.); confirmée par la Cour d’appel, [1973] C.T.C. 561 (C.A. C.-B.); confirmée par la Cour suprême du Canada, [1974] C.T.C. 222 (C.S.C.)).
En pratique, force est de constater qu’on retrouve des applications erronées entourant les notions d’autocotisation, les plus fréquentes concernent la détermination de la JVM de l’immeuble visé par cette fourniture. En effet, plusieurs contribuables ne font pas la distinction entre la JVM de l’immeuble au moment de l’autocotisation et la JVM de ce même immeuble à un moment ultérieur, et ce, bien que ce moment de détermination soit crucial. Le législateur, par sa rédaction du texte de loi, demande au contribuable de déterminer la JVM de l’immeuble au moment de la fourniture à soi-même (soit le « moment donné »).
Plusieurs contribuables utilisent la JVM établie dans un rapport d’évaluation produit à des fins de financement. Pourtant, ces rapports visent à établir une JVM à un moment ultérieur au moment de l’autocotisation, c’est-à-dire, à un moment où l’immeuble locatif est en pleine exploitation. Il en résulte que la JVM présentée aux fins de financement est, dans de nombreux cas, plus élevée que la JVM de l’immeuble au moment donné. Cette mauvaise interprétation risque fort bien d’entraîner des conséquences fiscales négatives pour le contribuable :
Il convient de mentionner qu’une surévaluation de la JVM de l’immeuble neuf n’entraîne pas automatiquement une perte du RIHLN. En fonction de la JVM des unités et des seuils prévus dans la loi, il est possible que tous les critères soient tout de même respectés.
Un rapport d’évaluation immobilière produit à des fins de financement est notamment utile et nécessaire pour le financement à long terme du projet. Celui-ci s’appuie sur un marché secondaire, c’est-à-dire un marché d’immeubles en pleine exploitation. Il s’appuie notamment sur des revenus et des dépenses normalisés de même que sur un taux global d’actualisation (« TGA »). De façon générale, le TGA utilisé dans un rapport d’évaluation rédigé à des fins de financement est inférieur à celui qui devrait être utilisé dans un rapport d’évaluation rédigé à des fins d’autocotisation (« TGA primaire »). Il s’agit d’une application concrète des principes de finance selon lesquels plus le risque est élevé, plus le rendement espéré est élevé.
Compte tenu des risques associés à la construction de l’immeuble et à l’absorption du marché, notamment, ce TGA primaire est forcément supérieur. Par conséquent, si le TGA est augmenté, la JVM de l’immeuble sera directement modifiée à la baisse. À combien se situe cette « prime » de TGA? En raison de l’incertitude entourant la réponse à cette question, il est raisonnable d’affirmer que la méthode d’évaluation basée sur les revenus devrait être écartée dans un contexte d’autocotisation. Des principes fiscaux de simplicité, de neutralité et de prévisibilité devraient être mis à l’avant-plan, et la subjectivité entourant cette prime ne répond pas à ces critères.
À savoir si les règles de fourniture à soi-même devraient prendre en considération les JVM dégagées par les rapports d’évaluation immobilière produits à des fins de financement, force est de constater que ces applications en matière de taxes et en matière bancaire ne sont aucunement corrélées. Le fait que les institutions financières reconnaissent une certaine JVM à des fins de financement, avant ou après la construction de l’immeuble, n’a rien à voir avec la JVM au moment de l’autocotisation. Il s’agit de deux moments bien différents puisque les institutions financières s’appuient sur une JVM d’un immeuble en pleine exploitation, soit un marché secondaire. Un rapport d’évaluation rédigé à des fins de financement est nécessaire, mais à des fins de financement et non pas à des fins d’autocotisation.
Afin de répondre aux principes de simplicité, de neutralité et de prévisibilité, notamment, la méthode basée sur le coût de construction devrait être préconisée puisqu’elle représente une méthode d’évaluation juste, précise et objective. D’ailleurs, il est possible d’observer dans la jurisprudence que cette méthode est très souvent retenue par les différents tribunaux (par exemple, Charleswood Legion Non-Profit Housing Inc. c. Canada, [1998] G.S.T.C. 65; 9103-9438 Québec inc. c. Canada, 2004 CCI 466; Desjardins c. Canada, 2010 CCI 521; Beaudet c. La Reine, 2014 CCI 52 (« Beaudet »)). Malgré ce constat, il est possible de remarquer une certaine réticence des autorités fiscales vis-à-vis cette méthode, et ce, même si ce courant jurisprudentiel est fort et récent. Malgré des représentations fréquentes et continues des praticiens fiscaux, les autorités fiscales continuent de contester, dans de nombreux dossiers, une JVM basée sur la méthode du coût.
Dans les faits, il arrive parfois que les contribuables se butent aux autorités fiscales, aux fins de l’autocotisation, après avoir présenté un coût réel de construction appuyé par des pièces justificatives. Dans une telle situation, il est raisonnable d’affirmer que le contribuable remplit ses obligations fiscales. Cette procédure est à tout point de vue comparable à la méthode d’évaluation basée sur le coût de construction, à la seule exception qu’elle est basée sur des données réelles du contribuable et non sur des hypothèses (ce qui est encore mieux). Il s’agit là d’une méthode raisonnable, précise et justifiée. La position administrative des autorités fiscales semble affirmer ou alléguer que ce coût réel représente un coût de revient et, par conséquent, que ce coût ne constitue pas la JVM de l’immeuble. Pourtant, ces présomptions et ces affirmations des autorités sont non fondées en droit puisqu’elles ne sont pas appuyées par un texte de loi, ou encore, par la jurisprudence.
La décision Beaudet constitue une décision récente et importante en matière d’autocotisation. La seule question en litige dans cette affaire était de déterminer la JVM des quatre immeubles neufs construits par le contribuable aux dates retenues pour l’autocotisation. Dans son analyse, le juge a accepté la théorie du contribuable selon laquelle il faut évaluer l’immeuble dans un contexte de marché primaire et non dans un marché secondaire. De façon générale, cette théorie n’était pas partagée par les autorités fiscales. De plus, la Cour a décidé d’utiliser le coût réel de l’appelant et, plus particulièrement, elle a jugé, lorsque les coûts réels étaient disponibles et que ces coûts étaient honnêtes, qu’il n’est pas obligatoire de se référer au manuel Marshall & Swift afin de reproduire un coût de construction sur la table à dessin. Le juge retient la méthode du coût, ce qui est conforme à plusieurs autres décisions de la Cour canadienne de l’impôt. Il ressort également de ce jugement que le profit de promotion n’a pas à être retenu dans la détermination de la JVM d’un immeuble au moment de l’autocotisation. Dans de nombreux cas, ce profit de promotion explique en très grande partie la différence entre la JVM établie par les coûts réels et la JVM établie par la méthode des revenus.
Basé sur ce jugement, il est raisonnable d’établir que les autorités ne peuvent pas simplement retenir les méthodes d’évaluation basées sur les comparables ou sur les revenus quand le contribuable présente toutes les pièces justificatives de son coût réel de construction. En effet, si le contribuable utilise une méthode raisonnable et justifiée, bien qu’elle soit différente de celle utilisée par les autorités fiscales, le contribuable peut tout de même satisfaire son fardeau de preuve. Cette affirmation est notamment appuyée par la jurisprudence (St-Georges c. SMRQ, 2007 QCCA 1442; Caplan c. Agence du revenu du Québec, 2019 QCCQ 3269).
À la lecture de la décision Beaudet, il est raisonnable d’affirmer que les autorités fiscales n’adhéraient pas à la théorie des marchés primaires et secondaires à l’époque pertinente. Encore aujourd’hui, leur position administrative à ce sujet est contestable, et ce, malgré la décision Beaudet. En pratique, certains contribuables se voient refuser leurs coûts réels de construction. Les autorités fiscales ont beaucoup de réticence à discuter cette décision dans leurs différentes représentations et leurs dossiers de litige. Pourtant, il s’agit là d’une pierre angulaire du courant jurisprudentiel, courant qui n’a pas encore été renversé à ce jour. Il est raisonnable d’affirmer que la méthode du coût amène des résultats précis. Cette méthode est d’ailleurs reconnue par les normes d’évaluation canadienne et s’appuie sur des variables objectives et déterminées. Dans un contexte de marché primaire où les données relatives aux revenus et dépenses sont souvent prévisionnelles, il fait beaucoup de sens d’exclure le maximum d’imprévisibilité et de s’appuyer sur des données tangibles. Une méthode d’évaluation basée sur le coût de construction optimise ces constats.
Bien que les formulaires prescrits des autorités fiscales sous-entendent que les contribuables doivent fournir un rapport d’évaluation comme pièce justificative, rien dans la loi n’est prévu à cet effet. La loi mentionne simplement, en vertu des règles de fourniture à soi-même, que le contribuable est réputé avoir payé à titre d’acquéreur et perçu à titre de fournisseur, au dernier en date de ces jours, la taxe relative à la fourniture, calculée sur la JVM de l’immeuble ce jour-là. Par conséquent, rien n’oblige le contribuable à remettre un rapport d’évaluation aux autorités fiscales. Certes, le contribuable doit être en mesure de justifier la JVM de son immeuble et, dans cette optique, un rapport d’évaluation peut parfois représenter une pièce justificative. En revanche, cette justification ne passe pas obligatoirement par un tel rapport et, par exemple, dans de nombreux dossiers, le coût réel de construction constitue une méthode raisonnable, tel que le reconnaît la décision Beaudet.
Il est possible d’affirmer que la méthode d’évaluation basée sur le coût de construction permet de déterminer avec précision la JVM d’un immeuble au moment de la fourniture à soi-même. Cette méthode est raisonnable, justifiée et objective. De la même façon, le contribuable satisfait son fardeau de preuve lorsqu’il présente ses coûts réels de construction quand ceux-ci sont appuyés et honnêtes.
Il n’est pas souhaitable que la loi prévoie un texte qui dicte comment déterminer la JVM d’un immeuble d’habitation puisque cela ouvrirait potentiellement la porte à des planifications malhonnêtes. En revanche, est-ce que les autorités fiscales accepteront de réviser leur position administrative à ce sujet? Cette question demeure sans réponse. D’un point de vue jurisprudentiel, le courant actuel relatif à la méthode du coût, excluant ainsi le profit de promotion, n’a pas été renversé. Ainsi, il serait profitable pour l’ensemble des contribuables qu’il y ait un peu plus de consensus sur le sujet, conformément au système canadien qui s’appuie, entre autres, sur des principes de simplicité, de neutralité et de prévisibilité.
Cet article a initialement été publié pour l'Association de planification fiscale et financière (APFF) : Yvan FOURNIER, « Autocotisation en TPS/TVQ en vertu des règles de fourniture à soi-même », (2020), vol. 25, no 2 Stratège 30-33.